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Expérience et impact des ruptures de stock de contraceptifs chez les femmes, les prestataires et les décideurs politiques de deux districts en Ouganda

Kate Grindlay, Ibis Reproductive Health Eleanor Turyakira, Mbarara University of Science and Technology Imelda T. Kyamwanga, Mbarara University of Science and Technology Adrianne Nickerson, Ibis Reproductive Health Kelly Blanchard, Ibis Reproductive Health

First published online:

| DOI: https://doi.org/10.1363/42e2016
Abstract / Summary
Contexte

L'impact des ruptures de stocks de contraceptifs sur les femmes et les prestataires de soins de santé n'est guère documenté, pas plus que la manière dont les décideurs politiques perçoivent et traitent la situation.

Méthodes

En mai-juillet 2015, une étude qualitative de l'expérience de ruptures de stocks de contraceptifs a été menée dans deux districts d'Ouganda. Trois composants de collecte de données ont été considérés: huit groupes de discussion avec 50 femmes, 24 entretiens individuels en profondeur avec des prestataires de services de planification familiale et responsables de structure et 11 entretiens en profondeur avec des responsables politiques et décideurs au niveau du district. L'analyse des données a procédé selon l'approche de l'analyse de contenu.

Résultats

Les ruptures de stocks de contraceptifs se sont révélées courantes, en particulier pour les méthodes longue durées et la contraception orale. Pour les femmes, les conséquences en sont le stress, les coûts accrus, le conflit conjugal et les grossesses non désirées ou non planifiées. Les prestataires font état de détresse émotionnelle, reproches des clientes, détérioration des compétences et réduction de la demande de leurs services; ils estiment aussi ne pas pouvoir résoudre la situation dans le cadre des systèmes d'approvisionnement actuels. Malgré la prévalence généralisée et l'impact négatif des ruptures de stocks, les responsables politiques ignorent l'ampleur du problème.

Conclusions

Les résultats laissent entendre un besoin critique de sensibilisation à la réalité des ruptures de stocks, de réduction de leur incidence et d'atténuation de leurs conséquences négatives. Les efforts d'élimination des ruptures de stocks doivent prévoir la résolution des problèmes de la chaîne d'approvisionnement. La sensibilisation communautaire et l'engagement des hommes sur les questions de la planification familiale pourraient aider à mieux gérer les conséquences des ruptures de stocks.

En 2011, dans les pays en développement, une femme sur quatre désireuses d’éviter une grossesse présentait un besoin de contraception moderne non satisfait.1 Bien des raisons peuvent expliquer la non satisfaction de ce besoin, parmi lesquelles l’accès insuffisant aux services et fournitures contraceptives.1 Assurer l’accès à la contraception est l’un des moyens les plus essentiels et rentables d’améliorer la santé des femmes et des enfants tout en réduisant la mortalité maternelle.2–4 Il est dès lors crucial d’examiner l’effet des ruptures de stock de contraceptifs. L’Organisation mondiale de la Santé a inscrit la résolution de ces ruptures de stock parmi les 15 grandes priorités pour la recherche mondiale sur la planification familiale.5

Il y a rupture de stock de contraceptifs quand une ou plusieurs options contraceptives ne sont pas disponibles dans une structure de santé qui propose généralement la méthode ou qui, d’après la politique établie, devrait la proposer. Selon des données de 2014 du Fonds des Nations unies pour la population, plus de 60% des structures publiques et privées étaient en rupture de stock d’au moins une méthode moderne le jour de l’enquête menée dans les 28 pays pour lesquels ces données étaient disponibles; en Ouganda, ce pourcentage était de 79%.6 Peu d’études publiées présentent des données relatives aux ruptures de stock de contraceptifs et celles qui le font se concentrent principalement sur leur prévalence ou les signalent, de manière générale, comme l’un des nombreux facteurs d’entrave à l’accès à la contraception, à son adoption et à sa continuation.1,7–13 L’impact direct des ruptures de stock de contraceptifs n’est guère documenté, notamment en ce qui concerne ce que font les femmes quand elles s’y trouvent confrontées, les effets de ces ruptures sur leur vie, la perception qu’en ont les prestataires et les décideurs politiques et la façon dont ils les gèrent.

Le but de cette étude était d’explorer l’expérience des ruptures de stock de contraceptifs et leur impact sur les femmes, les prestataires et les décideurs politiques dans deux districts de l’Ouganda. Nos objectifs étaient d’évaluer l’ampleur, la portée et les causes perçues des ruptures de stock de contraceptifs, d’identifier les réactions des femmes et des prestataires à leur égard et d’en décrire les conséquences pour les femmes et les prestataires de soins de santé.

CONTEXTE 

En Ouganda, les services de planification familiale sont assurés par des structures privées à but lucratif ou non, ainsi que par des établissements du secteur public. Les services de santé publique sont assurés à cinq niveaux de soins.14 Un centre de santé de niveau II (CS II) est au service de la paroisse, un centre de niveau III (CS III) à celui du sous-comté, un centre de niveau IV (CS IV) à celui du comté et un hôpital à celui du district. De plus, des équipes non professionnelles au niveau du village, la plus petite unité administrative, servent de lien entre la communauté et les structures CS II, apportant conseil et orientation. Toutes les structures de santé publique sont censées proposer des services de planification familiale gratuits, mais le nombre et le type de méthodes offertes varient suivant le niveau: les méthodes de courte durée sont disponibles au niveau II; celles de courte durée et les contraceptifs réversibles longue durée, au niveau III; et toutes les méthodes, y compris les contraceptifs réversibles longue durée et les méthodes permanentes (vasectomie et ligature des trompes), au niveau IV et dans les hôpitaux.

Le système d’approvisionnement en contraceptifs varie suivant le type de structure. Dans les structures publiques de haut niveau (IV et supérieur), des bons de commande standard servent à demander les fournitures de planification familiale aux National Medical Stores (dépôts nationaux - NMS), l’organisme gouvernemental chargé de la distribution des fournitures médicales, qui les livrent tous les deux mois. Aux niveaux publics inférieurs (II et III), les fournitures sont livrées selon un système incitatif (« push »), sans commandes, contrairement au fonctionnement en vigueur aux niveaux supérieurs. Chaque structure inférieure reçoit chaque trimestre une dotation médicale standard, dont le contenu est déterminé annuellement au niveau du district. Bien que ces dotations diffèrent d’un niveau de structure à l’autre, elles sont toutes identiques pour les structures de même niveau, indépendamment de leurs différences spécifiques, comme le nombre de patients ou les tendances de prescription. En cas d’épuisement d’un produit, la structure en informe l’office de santé du district et obtient, si possible, les produits manquants de structures voisines qui en disposent encore. Les structures privées à but lucratif se procurent leurs produits sur le marché libre des pharmacies et s’associent parfois avec les organisations non gouvernementales pour fournir des services de planification familiale à prix réduit.

MÉTHODES

Cadre

Une étude qualitative a été menée entre mai et juillet 2015 dans les districts ougandais de Kamuli et de Mbarara. Nous avons sélectionné deux districts pour permettre la comparaison entre un district caractérisé par un statut socioéconomique supérieur (Mbarara, dans le Sud-Ouest ougandais) et un autre de statut inférieur (Kamuli, dans l’Est du pays). Le district de Mbarara a une population de 474 144 habitants, dont 52% sont de sexe féminin. Le district de Kamuli compte 490 255 habitants, avec une même proportion de femmes que Mbarara.15

Trois composants sont entrés en jeu dans la collecte des données: huit groupes de discussion avec un total de 50 femmes, 24 entretiens individuels en profondeur avec des prestataires de services de planification familiale et responsables de structure et 11 entretiens en profondeur avec des responsables politiques et décideurs au niveau du district. Pour satisfaire aux critères d’inclusion des groupes de discussion, il fallait être femme, âgée de 18 à 45 ans, comprendre la langue anglaise, runyankole ou soga et avoir déjà pratiqué ou essayé de pratiquer une méthode de planification familiale. Les groupes de discussion ont été stratifiés par statut socioéconomique (inférieur–intermédiaire, supérieur) et par tranche d’âge (18 à 25 ans et 26 à 45 ans). Le statut socioéconomique des participantes potentielles aux groupes de discussion a été déterminé en fonction de leur profession et de leur revenu estimé. Les femmes actives dans l’agriculture ou dans une petite entreprise familiale et celles sans emploi (y compris les ménagères et les étudiantes) ont été considérées de faible statut socioéconomique car elles ne disposaient pas d’une source de revenu stable dont elles avaient le contrôle. Les vendeuses de produits alimentaires et autres marchandises sur les marchés locaux (travailleuses de « petites entreprises ») sont considérées de statut moyen et les professionnelles, de statut supérieur.

Nous avons eu recours à l’échantillonnage délibéré pour recruter des femmes d’âges et de strates socioéconomiques différents pour les groupes de discussion. Dans les milieux ruraux, les participantes ont été sélectionnées parmi les femmes clientes ou en visite dans une structure de santé sélectionnée aléatoirement pour participer à l’étude (c.-à-d. dans laquelle un prestataire avait été sélectionné). En zone urbaine, nous avons eu recours à l’échantillonnage délibéré et de commodité pour recruter des participantes non liées à une structure de santé. Ces participantes ont été sélectionnées dans les espaces où l’on pouvait s’attendre à trouver au moins 10 femmes: les femmes des groupes de discussion ont ainsi été recrutées sur les marchés, dans les écoles secondaires et primaires et dans les banques. Les discussions de groupe ont eu lieu dans des bibliothèques d’école, des centres de santé, des salles de classe et des banques après l’heure de fermeture, ainsi que dans des espaces ouverts à proximité des marchés ou dans ceux mis à disposition par des membres de la communauté.

Pour satisfaire aux critères d’inclusion relatifs aux prestataires, il fallait être prestataire de services de santé ou responsable de structure de santé proposant la planification familiale. Des entretiens en profondeur ont été menés avec des prestataires et des responsables de structure dans un échantillon délibéré de types de structure, y compris des structures publiques de type II–IV, des structures privées à but lucratif et des structures privées sans but lucratif. Des prestataires de structures privées et de structures publiques de niveaux supérieur et inférieur ont été inclus pour rendre compte des systèmes de distribution distincts aux différents niveaux et dans les différents types de structure, puisqu’ils ont une influence sur la gamme de méthodes proposées et le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. Pour les entretiens en profondeur avec les responsables politiques et les décideurs, nous avons sélectionné des responsables sanitaires de district, des représentants élus au niveau du district et des responsables de la planification familiale auprès d’organisations non gouvernementales. Les entretiens en profondeur des prestataires comme des responsables politiques ont été menés dans leurs bureaux respectifs.

Les groupes de discussion et les entretiens en profondeur ont été animés et menés par deux membres de l’équipe chargée de l’étude, dans la langue dans laquelle les participants se sentaient le plus à l’aise (anglais, runyankole ou soga) et selon des guides de discussion définis, mis au point par l’équipe de l’étude pour assurer des sujets de discussion similaires dans les groupes de discussions et les entretiens. Tous les participants à l’étude ont donné, par écrit, leur consentement éclairé. L’étude a été soumise à l’approbation des comités d’éthique de l’Allendale Investigational Review Board, de l’Uganda National Council for Science and Technology et du Mbarara University of Science and Technology Research Ethics Committee.

Les participants ont répondu à un bref questionnaire de nature démographique avant d’entreprendre la discussion de groupe ou l’entretien. Les sujets de discussion des groupes ont couvert: l’expérience des femmes concernant l’obtention de contraceptifs, leur connaissance des méthodes contraceptives, leur connaissance et expérience des ruptures de stock, les mécanismes d’adaptation des participantes et de leur entourage face aux ruptures de stock et l’impact des ruptures de stock sur les participantes et leur entourage. En moyenne, les discussions de groupe ont duré environ deux heures.

Les sujets couverts lors des entretiens en profondeur avec les prestataires et les responsables de structure ont couvert: la fréquence des ruptures de stock, l’adaptation face à ces ruptures, les perceptions de leur impact, l’évaluation de leur importance, la capacité perçue des responsables de structure à influer sur les ruptures de stock, l’identification des décideurs qui pourraient peut-être résoudre le problème et le potentiel de plaidoyer des prestataires au sein des organismes de services de santé et autres organisations professionnelles.

Les sujets couverts lors des entretiens en profondeur avec les responsables politiques et les décideurs ont couvert: leur connaissance et leur perception de l’importance de la contraception, leur conscience des ruptures de stock, leur perception de l’impact de ces ruptures, leur perception de leur capacité à influer sur ces ruptures, l’information qui pourrait les aider à augmenter la visibilité du problème et les stratégies potentielles de résolution. Les entretiens en profondeur avec les prestataires et les responsables politiques ont duré, en moyenne, de 30 à 60 minutes.

Tous les entretiens et toutes les discussions de groupe ont été enregistrés numériquement. Les enregistrements audio ont été transcrits verbatim et les données ont ensuite été traduites en anglais. Quatre des auteurs de l’étude ont participé à l’analyse des données. Les données ont été organisées, par « couper-coller » manuel, en fonction des questions et des thèmes prédéfinis des guides d’entretien. L’analyse des données a procédé selon l’approche de l’analyse de contenu. Toutes les informations susceptibles d’identifier les participants aux entretiens ou aux groupes de discussion ont été éliminées. Les citations présentées dans cet article sont identifiées par type d’entretien ou groupe de discussion, type de structure (pour les prestataires seulement) ou strate de groupe (statut socioéconomique et tranche d’âge) et district.

RÉSULTATS 

Caractéristiques des participants

La plupart des participantes aux groupes de discussion étaient mariées (76%) et employées ou engagées dans une activité génératrice de revenu (88%; Tableau 1). Quarante pour cent des femmes avaient terminé des études post-secondaires; un pourcentage similaire de participantes a déclaré avoir une activité professionnelle, d’enseignante notamment (38%).

Dix-neuf des 24 prestataires de soins de santé participant à l’étude étaient des femmes (Tableau 2). L’âge médian des prestataires était de 34 ans (entre 22 et 58 ans). Tous les responsables politiques et décideurs participant étaient des hommes; leur âge médian était de 43 ans (entre 34 et 59 ans). Ils occupaient leurs fonctions respectives depuis une période comprise entre un et 14 ans.

Fréquence et type des ruptures de stock 

Les femmes et les prestataires font état de ruptures de stock courantes et répandues. Elles variaient suivant le type de structure et de méthode, les prestataires des structures privées étant moins susceptibles d’en déclarer que ceux des structures publiques. Les prestataires ont déclaré une rupture de stock de la pilule progestative depuis des années dans la plupart des structures publiques, indiquant de même que les contraceptifs oraux combinés étaient souvent fournis en quantités si faibles qu’il y avait à ce niveau aussi une rupture chronique des stocks. Tant les femmes que les prestataires ont déclaré que les méthodes longue durée, y compris l’implant et le stérilet/DIU, n’étaient pas souvent disponibles. Comme l’a expliqué un prestataire de structure CS IV à Mbarara:

« La pilule surtout [est en rupture de stock]... On passe parfois jusque cinq mois sans pilules. Même les méthodes longue durée comme l’implant et le stérilet sont aussi en rupture de stock. »

Les ruptures de stock n’affectaient cependant pas toutes les méthodes. Le préservatif était largement disponible et un seul prestataire, dans le district de Kamuli, a fait état d’une rupture de stock de contraceptifs injectables. Les femmes et les prestataires percevaient les contraceptifs injectables comme toujours disponibles. Deux prestataires ont déclaré:

« Le stérilet et l’implant, surtout, [sont en rupture de stock]... Nous avons le Depo [contraceptif injectable], mais nous manquons régulièrement de COC [contraceptifs oraux combinés]. » —prestataire, structure CS III, Mbarara

« Ces temps-ci, on ne donne que le Depo [contraceptif injectable] et le préservatif; on n’a pas les autres types de planification familiale... Depuis mon arrivée en 2013, je n’ai jamais vu d’Implanons [implants]... Ce sont les pilules et les Implanons qui sont le plus souvent en rupture de stock… Depo n’est jamais en rupture de stock … Le Depo, on en a plein. » —prestataire, structure CS IV, Kamuli

Les disponibilités des méthodes signalées par les femmes et les prestataires lors de la discussion sur les ruptures de stock se reflètent dans la pratique contraceptive du moment des participantes aux groupes de discussion (Tableau 3). Plus du tiers des femmes ont déclaré utiliser le contraceptif injectable (38%). On observe aussi une correspondance étroite entre les déclarations de ruptures de stock, par méthode, des femmes et des prestataires. Cependant, les politiciens et les décideurs au niveau du district déclarent généralement ne pas être au courant de ruptures de stock, indiquant n’avoir reçu aucune plainte à ce sujet et estimer dès lors le problème sans importance.

« Si je ne reçois pas de communication de la part des responsables, je ne peux être informé de l’existence [de ruptures de stock] que si je me rends sur place à des fins de supervision, mais, vous savez, cela ne se produit pas régulièrement. » —décideur politique, Kamuli

« Non, je ne pense pas que [les ruptures de stock] posent problème... En ce qui concerne la planification familiale, je n’ai pas reçu de plaintes [de ruptures de stock]; est-ce parce qu’on ne m’aborde pas dans ce contexte? Je l’ignore. » —responsable politique, Mbarara

Causes perçues des ruptures de stock 

Les femmes ignoraient les causes des ruptures de stock et incriminaient souvent les prestataires. Elles estimaient que ces derniers leur refusaient la méthode. En théorie, la plupart des responsables politiques et des décideurs interviewés ont dit ne pas être sûrs des causes possibles de ruptures de stock de contraceptifs. Les prestataires ont fait état de différentes causes, révélant plusieurs thèmes émergents, dont les processus de la chaîne d’approvisionnement et la dépriorisation de la contraception.

•Processus de la chaîne d’approvisionnement. Selon les prestataires, les processus sous-optimaux de planification de la chaîne d’approvisionnement et de commande sont l’une des causes des ruptures de stock. Les méthodes longue durée telles que le stérilet/DIU ne figurent pas sur le bon de commande standard utilisé dans les structures publiques de niveau supérieur pour la demande de produits de planification familiale aux dépôts nationaux (NMS), nécessitant dès lors d’autres démarches administratives. Et de noter que cette étape supplémentaire créait un obstacle à l’obtention de ces méthodes.

Dans les structures publiques de niveau inférieur, qui reçoivent une quantité fixe de fournitures sous forme de dotations médicales standard selon un système incitatif (« push »), les prestataires estimaient que leur manque de participation à la constitution de cette dotation menait aux ruptures de stock observées dans leurs structures. Comme l’a affirmé un prestataire:

« Idéalement, les structures devraient [commander leurs fournitures], mais [dans les structures publiques] de niveau III, la méthode incitative est appliquée. Ils [le gouvernement] déterminent de loin la dotation qu’ils vont envoyer à chaque unité. Et nous, en fin de course, nous recevons donc ce qui est inclus dans la dotation. Mais je ne sais pas ce qu’il s’est passé, dans cette dotation, il n’y a pas de fournitures de planification familiale. Et nous sommes là à nous demander, comment se peut-il qu’il n’y ait pas de produits dans la dotation d’une année, et nous, nous sommes là [à attendre]. Nous avons parlé de ces problèmes concernant les produits de la planification familiale et nous avons dit qu’ils devraient être réintroduits dans la dotation... Nous attendons donc l’exercice fiscal prochain. » —prestataire, structure CS III, Kamuli

En réponse à la question des méthodes manquantes pourtant attendues dans les dotations standard fournies aux structures, un responsable politique de Kamuli explique: « Voyez-vous, [les prestataires] sont censés remplir des formulaires de divergence, mais ils ne sont pas honorés par les NMS [dépôts nationaux]. [Ils] remplissent leurs [formulaires de divergence] et il ne se passe rien. Les agents de santé et les assistants des points de distribution finissent par abandonner. C’est un vrai défi. »

Les prestataires des structures privées laissent entendre que le manque de fournisseurs fiables contribue à leurs ruptures de stock. Comme le déclare l’un de ces prestataires:

« J’ai fini par comprendre que pour obtenir des fournitures, il faut être régulier et avoir un fournisseur régulier. Une des raisons de nos ruptures de stock, avant, était que nous n’avions pas de fournisseur stable... Même les pharmacies privées, on y va parfois et on découvre qu’elles sont aussi en rupture de stock. Avec un fournisseur stable comme JMS [Joint Medical Store, une organisation non gouvernementale privée, sans but lucratif, qui vend des fournitures médicales] ou NMS [National Medical Stores], ce serait donc mieux. » —prestataire, structure privée à but lucratif, Mbarara

Les prestataires donnent à penser que des prévisions inexactes de la demande au niveau des structures de niveau supérieur ont aussi conduit à des ruptures de stock. La plupart se sont basées, pour produire les prévisions, sur le nombre de méthodes précédemment distribuées, et non sur la demande. Un autre facteur entrant en jeu est la participation et les rétroactions limitées des prestataires. Ils indiquent être censés enregistrer ou déclarer toutes les divergences de fournitures à l’office de la santé du district ou aux NMS. Ils déclarent cependant que leurs rapports n’ont guère eu d’impact, voire aucun, sur la résolution des écarts, devant plutôt attendre la distribution d’approvisionnements planifiée suivante. De plus, étant donné que les politiciens et les décideurs au niveau du district déclarent généralement ne pas être au courant des ruptures de stock, les mécanismes de rétroaction semblent inadéquats.

Par ailleurs, tous les prestataires et responsables politiques interviewés ont fait remarquer que les produits et services de la planification familiale étaient gratuits pour les structures de santé. Ils déclarent que des fonds nationaux ont été déposés aux dépôts nationaux pour l’achat de médicaments essentiels destinés à chaque structure, et que l’approvisionnement en produits de planification familiale n’a pas puisé dans ces fonds. Les prestataires des structures publiques affirment que, faute de budget consacré à la planification familiale, les structures n’ont pas pu obtenir de fournitures d’autres sources quand les dépôts NMS faisaient défaut. Occasionnellement, les structures ont pu obtenir leurs fournitures d’un autre centre de santé par transfert sanctionné par le ministère de la Santé, bien que les répondants ne puissent clairement affirmer qui a assumé le coût du transport des fournitures dans ces circonstances.

•Dépriorisation. Les prestataires et les responsables politiques ont expliqué que la plupart des indicateurs relatifs à la contraception n’étaient pas des mesures centrales utilisées par le ministère de la Santé pour évaluer les performances des structures. Seul le contraceptif injectable est signalé comme servant de médicament témoin dans l’évaluation de la performance de la chaîne d’approvisionnement, ce qui explique peut-être pourquoi il est presque toujours en stock.

Stratégies adaptatives 

Les femmes et les prestataires emploient différentes stratégies pour faire face aux ruptures de stock. Le plus souvent, les femmes ont dit s’être rendues dans une autre structure, clinique ou pharmacie pour se procurer leur méthode préférée. Souvent les prestataires les aidaient en les orientant vers certaines structures spécifiques ou en les appelant pour vérifier leurs stocks. Parce que les femmes recherchaient activement leur méthode auprès de structures multiples, elles ne voyaient pas les ruptures de stock comme un facteur majeur d’arrêt de méthode.

« Les femmes essaient toujours, par tous les moyens, d’aller partout pour se procurer leur méthode. » —femme, 26–45 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

« Comme je ne veux plus faire d’enfants, je me débrouille par tous les moyens pour m’assurer de l’obtenir d’une pharmacie ou d’une clinique. Il faut bien réfléchir [à toutes les solutions possibles], il peut falloir emprunter 1 000 [shillings ougandais (UGX)] à une amie, ou bien vendre du maïs pour obtenir l’argent. » —femme, 18–25 ans, revenu faible à intermédiaire, Kamuli

Si les femmes ne pouvaient pas obtenir leur méthode préférée, elles déclaraient changer occasionnellement de méthode, sous avis de prestataire. La tendance résultante en est cependant le passage à des méthodes moins efficaces, comme le préservatif ou le retrait. Le changement de méthode pouvait poser des difficultés à certaines femmes, en particulier celles qui pratiquaient la planification familiale à l’insu de leur partenaire. L’une d’entre elle a fait remarquer:

« La plupart des hommes ne veulent pas que leur femme utilise la planification familiale... Ils deviennent agressifs et nous devons donc parfois l’utiliser à l’insu de nos maris, ce qui n’est pas facile. » —femme, 26–45 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

Les participantes ont aussi décrit les difficultés rencontrées par les femmes qui essaient de convaincre les hommes d’utiliser le préservatif ou le retrait si leur méthode préférée n’est pas disponible. Comme l’a dit un prestataire:

« Les femmes viennent souvent pour la planification familiale et, quand leur méthode n’est pas en stock,... nous devons les convaincre d’accepter le préservatif, mais elles se plaignent et disent que leur mari ne leur permettra peut-être pas de l’utiliser. » —prestataire, structure CS IV, Mbarara

Beaucoup de femmes ou partenaires refusaient les méthodes de remplacement et, dans ces cas, les femmes attendaient souvent leurs fournitures en s’abstenant d’avoir des rapports sexuels. Pour certaines, l’abstinence peut cependant être difficile à négocier avec leur partenaire. L’une d’entre elles nous a dit:

« [Quand les stocks sont épuisés], je refuse [d’avoir des rapports]. Au moins, je peux [faire semblant de] tomber malade quand je prévois d’aller à la clinique pour obtenir la méthode de planification familiale que je veux. » —femme, 26–45 ans, revenu faible à intermédiaire, Kamuli

Conséquences pour les femmes 

À la question de savoir ce qu’elles pensaient des ruptures de stock de contraceptifs, la plupart des femmes ont initialement dit qu’elles étaient normales car l’accès aux médicaments en général est toujours compliqué. Leurs attentes étaient par conséquent modestes concernant la disponibilité des méthodes de planification familiale. Cela dit, à la question plus approfondie de l’impact de ces ruptures, les femmes ont fait état de nombreuses conséquences négatives, dont la plus courante était la grossesse non planifiée ou non désirée. Un prestataire l’a expliqué en ces termes:

« Mes clientes viennent parfois me voir et elles disent: « Vous savez, l’autre fois, je suis venue et je vous ai demandé de me faire une injection et vous n’en aviez pas. Maintenant, je crois que je suis enceinte. » —prestataire, structure CS IV, Mbarara

Les femmes signalent aussi le stress qui résulte de leur inquiétude concernant la possibilité d’une grossesse non désirée. Une femme a ainsi décrit la fois où elle s’est trouvée confrontée à une rupture de stock: « Ça m’est arrivé une fois: je suis allée au dispensaire et ils n’avaient pas de Microgynon... Je suis allée aux cliniques, qui ne l’avaient pas non plus. Cette nuit-là, j’ai dormi sous tension, inquiète de me retrouver enceinte. » —femme, 26–45 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

De même, les femmes se sentaient stressées quand elles ne pouvaient pas se procurer leur méthode préférée et devaient s’abstenir d’avoir des rapports. Plusieurs avaient subi le stress indu d’avoir eu à mentir à leur partenaire en lui disant qu’elles étaient souffrantes ou réglées pour éviter les rapports quand leur méthode contraceptive n’était pas disponible. L’une a expliqué l’angoisse créée par les ruptures de stock:

« Bien sûr, on se tracasse à penser que peut-être, l’un de ces deux jours, on est tombée enceinte... et, bien sûr, quand on est inquiète, on perd cet appétit dont on parle, on finit même par rejeter l’homme au lit s’il ne comprend pas ce qui se passe... Alors, il vous en veut... Quand on est inquiète, les choses ne se passent pas toujours bien au lit et certains hommes vont parfois chercher d’autres femmes. » —femme, 18–25 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

Les femmes comme les prestataires disent qu’il pourrait être difficile pour certaines de refuser les rapports sexuels pour la simple raison que leur méthode de planification familiale n’est pas en stock. Dans les cas extrêmes, la tentative d’abstinence de la femme ou sa demande que son partenaire utilise le préservatif ont conduit au conflit et à la violence conjugale. Certaines femmes ont arrêté totalement la planification familiale face à un partenaire non disposé à accepter l’abstinence ou une autre méthode. Deux femmes de Mbarara ont décrit le résultat de leur tentative d’abstinence quand leur méthode n’était pas en stock:

« Certains hommes ne le comprennent pas; ils se mettent à penser qu’on leur refuse peut-être les rapports pour d’autres raisons. Alors il dit: « Laisse-moi partir aussi. Quand tu seras prête, je reviendrai. » Et certains hommes quittent définitivement leur partenaire à cause de la planification familiale. Toi, tu es là à avoir peur d’être mise enceinte et, parfois, l’homme ne comprend pas qu’il peut te mettre enceinte cette nuit-là, alors il pense que tu le refuses ou que c’est à cause du sel qu’il n’a pas acheté... et il disparaît, tout simplement, alors que tout ce que tu essaies de faire, c’est de te protéger et de ne pas te retrouver enceinte. » —femme, 26-45 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

« Une femme peut se retrouver sans méthode [en cas de rupture de stock] et si elle a des rapports avec son mari, elle risque des grossesses non désirées. Et même, toute tentative de la femme de refuser des rapports sexuels à son mari peut mener à la violence au foyer... Ils s’énervent et certains risquent même de vous chasser de leur maison. Pour les femmes qui utilisent la planification familiale en secret, la situation devient difficile parce qu’ils peuvent croire que vous avez d’autres hommes. » —femme, 18–25 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

Les femmes ont aussi fait état de violence conjugale et d’abandon quand une rupture de stock de la méthode de planification familiale a donné lieu à une grossesse non désirée ou non planifiée. Les hommes rejettent non seulement les femmes, mais aussi les enfants nés de grossesses non désirées.

« Les hommes disent facilement aux femmes de ne plus accoucher, mais aucun homme n’est prêt à arrêter d’avoir des rapports avec la femme. Elle va au centre de santé, ne trouve pas les méthodes à utiliser et quand elle se retrouve enceinte, il le lui reproche et lui dit qu’il lui a demandé de ne plus faire d’enfant... Cet enfant, le mari ne s’en occupera pas. » —prestataire, structure CS IV, Mbarara

« Certains finissent même par divorcer, et par dire: « Moi, je t’ai dit que je ne voulais plus d’enfants et voilà que tu es encore enceinte ! » L’homme rejette donc l’enfant. » —prestataire, CS IV à Mbarara

De plus, les prestataires indiquent que l’observance est souvent perturbée en raison de la sensibilité exacerbée des femmes aux effets secondaires quand elles utilisent une autre méthode. Le risque d’arrêt est plus grand quand les femmes reçoivent une méthode autre que celle qu’elles préfèrent. Un prestataire l’explique ainsi:

« C’est assez compliqué, car il est difficile de convaincre une femme de changer de méthode et, quand elle le fait, elle se plaint toujours des moindres effets secondaires de la nouvelle méthode. D’autres mères décident d’arrêter la planification familiale et [ont] donc des grossesses non planifiées. » —prestataire, structure CS IV, Mbarara

Les femmes qui devaient rechercher leur méthode auprès de plusieurs sources ont dit se soucier du coût élevé du transport, de 2 000 à 15 000 UGX (0,60 à 5,00 USD) aller-retour, soulignant d’ailleurs que ces frais de transport étaient l’une des plus grandes difficultés auxquelles elles se trouvent confrontées dans la recherche de leur méthode. Cela en particulier pour les femmes des milieux ruraux, où la densité des structures est plus faible. Deux femmes ont décrit cette difficulté:

« Si on se rend au centre de diagnostic et qu’on n’obtient pas le service, on peut aller ailleurs... et si on ne l’obtient toujours pas, il faut aller encore ailleurs. Mais pour les femmes des villages, il est très, très difficile d’obtenir ces services. Le fait est, après tout, qu’elles doivent dépenser encore plus en transport, et certaines ne travaillent pas et elles dépendent de leur mari, qui n’est pas toujours prêt à coopérer. » —femme, 26–45 ans, revenu élevé, Mbarara

« Le transport pose problème parce qu’on doit parfois faire de longs trajets en boda boda [taxi-motocyclette] pour trouver la méthode dont on a besoin. On dépense parfois 10 000 shillings rien qu’en transport. Mais autant cela coûte, autant on ne peut rien y faire parce qu’il faut vraiment trouver cette méthode... Il y a encore des gens dans nos communautés qui ont du mal à se rendre aux structures de santé à cause des coûts du transport; elles finissent par faire beaucoup d’enfants non planifiés. » —femme, 26–45 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

Si les établissements publics n’avaient pas la méthode, certaines femmes allaient dans le privé, encourant plus de dépenses encore. Cette option n’était cependant pas disponible pour toutes les femmes, en particulier celles qui ne pouvaient pas payer leurs fournitures, gratuites dans les structures publiques.

De plus, les femmes ont dit devoir souvent passer beaucoup de temps à chercher leur contraception, de 30 minutes à une journée entière. Les structures publiques, en particulier, débordent de monde, ce qui cause de longues périodes d’attente pour les visites de la planification familiale. Une participante à un groupe de discussion a dit:

« Il faut parfois neuf heures [à la clinique] parce que, comme il s’agit d’un hôpital central, il y a toujours un monde fou et il faut faire la queue très longtemps. » —femme, 18–25 ans, revenu faible à intermédiaire, Mbarara

Après ces longues attentes, quelques femmes ont dit s’être vu refuser les services en fin de journée et avoir donc dû revenir un autre jour pour obtenir leurs contraceptifs.

Les femmes estimaient que les jeunes célibataires étaient plus affectées par les ruptures de stock que les autres, car les grossesses non désirées pouvaient mener à la déscolarisation, au mariage précoce et à l’avortement non médicalisé. D’aucunes ont précisé que les conséquences affectent les jeunes femmes plus que les hommes, car ces derniers ne sont pas obligés de quitter l’école par suite d’une grossesse non désirée ou non planifiée.

Les jeunes femmes ont déclaré plus de difficultés à se rendre dans une autre clinique lorsqu’elles se trouvent confrontées à une rupture de stock. Elles s’inquiètent aussi davantage des questions de confidentialité quand elles doivent se rendre dans une nouvelle structure et se trouver face à des prestataires qu’elles ne connaissent pas. Cela d’autant plus que l’obtention d’une méthode de la part d’un prestataire inconnu peut être difficile. Certaines jeunes femmes ont indiqué que les prestataires leur avaient conseillé l’abstinence et n’étaient pas disposés à leur donner de méthodes de planification familiale. D’autres participantes aux groupes de discussion ont dit que les jeunes femmes recouraient à différents moyens, en s’habillant de manière à paraître plus âgées ou en se liant d’amitié avec le personnel des cliniques, pour obtenir leurs méthodes de planification familiale. Comme l’a expliqué l’une d’entre elles: « Ce n’est pas facile pour elles – ces jeunes filles ont peur d’aller à l’hôpital et de dire: ... « Je voudrais une méthode de planification familiale »... Elles ont peur que les infirmières leur demandent quel âge elles ont. À 17 ans… [elles vont leur demander:] « Que veux-tu faire de la planification familiale à cet âge? » —femme, 18–25 ans, revenu faible à intermédiaire, Kamuli

En revanche, certaines femmes et certains prestataires estiment les jeunes femmes moins rigides concernant le choix de méthode, avec pour conséquence une réduction de l’impact des ruptures de stock. Elles sont perçues comme plus disposées à changer de méthode à court terme pour éviter la grossesse, et moins soucieuses des questions d’effets secondaires. Aux dires d’un prestataire:

« Pour les adolescentes, elles peuvent ne pas être très concernées, car elles désirent simplement une méthode, même s’il y a des effets secondaires; elles sont plus patientes sur ce plan. Mais les femmes mariées, elles se plaignent et réclament... Et, si elles ont des effets secondaires, il y a à parier que, la prochaine fois qu’elles viendront à la clinique, elles seront enceintes. » —prestataire, clinique privée à but lucratif, Mbarara 

Conséquences pour les prestataires 

Tous les prestataires avec lesquels nous nous sommes entretenus voyaient dans les ruptures de stock un problème considérable associé à de nombreuses conséquences négatives. Ils ont exprimé une forte empathie pour les femmes qu’ils servaient et parlé de la charge émotionnelle qu’ils ressentent quand ils ne peuvent pas les aider en cas de rupture de stock. Un prestataire de centre de santé en a dit:

« On stresse aussi quand on n’a pas les méthodes que les mères désirent... On se met à la place de cette femme, elle est venue, elle a déjà 10 enfants et elle demande le type de planification familiale qui n’est pas disponible... [Sa] dernière grossesse ne s’est pas bien passée, elle était toujours malade, et elle me dit: « Musawo [Docteur], j’ai besoin de me reposer. » Et voilà qu’il faut lui dire: « Nous n’avons pas cette méthode. » Elle s’en va le cœur gros, parce qu’elle sait qu’elle va de nouveau tomber enceinte. Qui sait, elle ne survivra peut-être même pas... à cette grossesse parce qu’elle a déjà accouché trop de fois. » —prestataire, structure CS IV, Kamuli

Certaines prestataires ont en outre expliqué qu’étant elles-mêmes des femmes, elles comprennent à un niveau personnel les conséquences d’une grossesse non désirée. Elles se sentaient démoralisées quand elles n’avaient pas les méthodes désirées en stock et ont exprimé la difficulté de n’avoir rien à offrir sinon de l’information dans ces situations. Une prestataire, dans une structure CS IV de Mbarara, a déclaré: « Je me sens parfois démoralisée parce que toutes ces mères viennent et nous les renvoyons, pas parce que je ne sais pas quoi faire, mais parce que je n’ai pas ce qu’il me faut. »

Les prestataires ont souvent indiqué que les femmes qui avaient une grossesse non désirée après rupture de stock les blâmaient pour cela. De même, certaines clientes interprétaient la rupture de stock comme un déni de service de la part du prestataire et estimaient que ceux-ci leur refusaient les méthodes. Comme l’a expliqué un prestataire de structure CS II à Kamuli: « Si une cliente tombe enceinte, elle peut vous le reprocher, à vous, le prestataire: « Vous n’avez pas apporté le médicament et me voici maintenant enceinte. » C’est à moi qu’elles viennent se plaindre. »

De plus, les ruptures de stock affectent négativement le niveau de compétence des prestataires, de même que la réussite de la structure. Les prestataires ont expliqué ne pas pouvoir acquérir ou conserver les compétences nécessaires à l’offre de méthodes à long terme, faute de pratique. L’un d’entre eux, dans une structure privée à but lucratif de Mbarara, a déclaré: « Comment s’en sortir quand on n’offre pas un service? Même vos compétences diminuent quand les méthodes ne sont jamais en stock. Par exemple, si je devais introduire un stérilet et que le produit n’était jamais disponible, je finirais par perdre cette compétence. »

Cela sans compter que les ruptures de stock affectent les performances de la structure tout entière. Les femmes perdent confiance dans les structures qui sont souvent ou longtemps en rupture de stock. Comme l’a expliqué un prestataire de structure CS II de Mbarara: « Je pense que les gens risquent de perdre confiance quand ils reviennent à plusieurs reprises et que leur médicament n’est pas disponible. » Étant donné que les femmes partagent souvent leur information sur les ruptures de stock, l’impact d’un incident peut se répandre rapidement. La situation est particulièrement problématique quand elles interprètent à tort une rupture de stock spécifique comme concernant toutes les méthodes. Deux prestataires expliquent le phénomène:

« Cela peut affecter la structure tout entière parce que, si une cliente se présente et qu’on lui dit que les implants sont en rupture de stock, elle va répandre la rumeur que la structure n’a pas de méthodes de planification familiale. Il en va souvent ainsi, alors qu’une seule méthode n’est pas disponible. » —prestataire, structure CS IV, Kamuli

« C’est comme une traînée de poudre, impossible à éteindre. Quand on dit à une mère qu’on n’a pas ce qu’elle demande, elle le dit à une autre mère et ainsi de suite. Tout le monde finit par savoir ce que vous n’avez pas. Et, finalement, la crédibilité de la structure s’effondre. » —prestataire, structure CS IV, Mbarara

Quand les femmes percevaient qu’une structure était chroniquement en rupture de stock de méthodes de planification familiale, le nombre global de clientes se réduisait, causant un impact à long terme sur la structure. Un prestataire de structure CS IV à Mbarara a ainsi décrit l’effet des ruptures de stock sur la performance de la structure: « Cela conduit à une faible prestation de services et, même à la fin du mois [quand la structure révise ses registres], il y a une baisse du nombre de clientes. »

DISCUSSION 

Les ruptures de stock de contraceptifs se sont révélées courantes, en particulier pour les méthodes longue durée et la contraception orale. Les mécanismes d’adaptation des femmes atténuent une partie de l’impact, mais les conséquences négatives n’en sont pas moins nombreuses pour elles: stress, coûts accrus, conflit domestique et grossesses non désirées ou non planifiées. Les prestataires font aussi état de détresse émotionnelle, perte de moral, reproches des clientes, détérioration des compétences et réduction de la demande de leurs services; ils se sentent impuissants à résoudre la situation dans le cadre des systèmes actuels. Malgré la prévalence répandue et l’impact négatif des ruptures de stock, les entretiens avec les responsables politiques indiquent qu’ils ne reconnaissent pas l’ampleur du problème.

Limites 

Cette étude présente plusieurs limites. D’abord, ces données ne sont pas représentatives de tous les points de vue des femmes, des prestataires et des responsables politiques des districts ougandais de Kamuli et de Mbarara. Ensuite, les effets du biais de non-participation sont inconnus. Cela dit, même si les données ne représentent pas tous les vécus, elles apportent une information nouvelle et utile concernant l’impact des ruptures de stock de contraceptifs sur les femmes et les prestataires.

Stratégies de résolution des ruptures de stock 

Les prestataires attribuent les ruptures de stock aux problèmes sous-jacents de la chaîne d’approvisionnement (prévision insuffisante de l’offre, manque de participation des prestataires à la composition de la dotation en produits des structures de niveau inférieur, bons de commande multiples aux niveaux supérieurs, manque de fournisseurs stables, mécanismes de rétroaction insuffisants pour la signalisation des produits manquants ou inadéquats et manque de fonds permettant la commande de produits ailleurs), ainsi qu’au manque de priorité donnée à la contraception au niveau national. La résolution de ces problèmes exigera une approche multidimensionnelle. Parmi les mesures immédiates possibles, on pourrait désigner plusieurs méthodes contraceptives — et pas seulement le contraceptif injectable — comme produits témoins de la chaîne d’approvisionnement en contraceptifs. Les méthodes longue durée, telles que le stérilet/DIU, doivent par ailleurs figurer sur le bon de commande standard utilisé dans les structures publiques de niveau supérieur pour la demande de produits de planification familiale aux dépôts nationaux: on éviterait ainsi l’excès de paperasserie et on réduirait les obstacles à l’accès.

À moyen terme, la réduction des ruptures de stock doit passer par l’amélioration du suivi des données relatives à la demande. Un registre clinique doit capturer les données relatives à toutes les femmes demandeuses de méthodes, qu’elles leur soient fournies ou non. Pour ce faire, les cartes de clientes de la planification familiale utilisées dans le passé pour la saisie de ces données pourraient être réintroduites. De plus, les prestataires doivent participer régulièrement à l’élaboration des bons de commande standard utilisés par les structures de niveau supérieur, de façon à éviter la multiplication des formulaires. Aux niveaux inférieurs, les prestataires doivent participer à la détermination du contenu de leur dotation, qui doit comprendre les méthodes de planification familiale. Ou bien un système sur demande (« pull ») pourrait être mis en place, de sorte que les structures de niveau inférieur puissent commander directement les fournitures dont elles ont besoin.

Une autre option pourrait être l’adoption d’un modèle de distribution incitatif éclairé « IPM ». Le gouvernement du Sénégal et l’Initiative sénégalaise de santé urbaine (ISSU) ont élaboré et piloté un IPM en 2012. Sous ce modèle de gestion des stocks et des livraisons par un logisticien professionnel, les structures de santé n’ont plus besoin de passer, ni d’aller chercher de commandes. Le logisticien collecte les données des stocks au moment de la livraison et rapporte ses observations au responsable médical du district; il reconstitue aussi mensuellement les stocks des structures pour assurer le maintien d’un niveau minimum prédéfini. Pendant la période pilote de six mois du modèle IPM, les ruptures de stock de pilules contraceptives, de contraceptifs injectables, d’implants et de stérilets/DIU ont été totalement éliminées dans les 14 structures de santé publique participantes. Suite à l’essai pilote, le gouvernement a élargi le modèle à la totalité des 140 structures publiques de la région de Dakar. Six mois plus tard, les taux de rupture de stock de la région étaient tombés à moins de 2%.12

Des stratégies à plus long terme sont aussi nécessaires à la réduction des ruptures de stock et de leur impact, ainsi que pour résoudre les facteurs profondément ancrés qui y contribuent. Il faut notamment prioriser durablement la contraception au niveau national. Sensibiliser les communautés à la planification familiale et engager les hommes sont aussi des approches nécessaires. Un problème sous-jacent mentionné dans nombre des conséquences négatives vécues par les femmes s’est révélé être le manque de réceptivité des partenaires à l’usage de la contraception. Cette insensibilité affecte du reste la capacité d’adaptation des femmes aux ruptures de stock. Par exemple, les femmes semblent avoir moins de difficultés à s’éloigner de leur famille à la recherche de méthodes dans plusieurs structures ou à éviter les rapports sexuels quand la situation n’exige ni tromperie, ni évitement. Étant donné le rôle essentiel des hommes, les solutions d’amoindrissement de l’impact des ruptures de stock doivent inclure leur engagement actif. Globalement, l’éducation en groupe, la sensibilisation communautaire et les interventions en clinique se sont révélées efficaces et utiles à l’implication des hommes dans la planification familiale16 Des efforts programmatiques similaires doivent être entrepris et adaptés aux contextes locaux. De plus, les coûts de transport élevés que doivent encourir les femmes pour obtenir leurs méthodes soulignent la nécessité de promouvoir les méthodes longue durée plus rentables — et d’en entretenir les stocks. À cet égard, de nouvelles possibilités de formation (par exemple, visites de proximité et programmes de rotation des prestataires leur permettant de visiter d’autres structures) doivent être proposées pour que les prestataires puissent entretenir leurs compétences concernant la mise en place des méthodes longue durée.

Les observations présentées ici mettent en lumière les nombreuses et profondes conséquences que produisent les ruptures de stock sur le vécu des femmes et des prestataires en Ouganda. Elles soulignent combien il est important de les réduire et d’en limiter les conséquences négatives.

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Author's Affiliations

Kate Grindlay est associée, Adrianne Nickerson, consultante indépendante, et Kelly Blanchard, présidente — toutes trois chez Ibis Reproductive Health, Cambridge, MA, États-Unis. Eleanor Turyakira et Imelda T. Kyamwanga sont toutes deux chargées de cours, Mbarara University of Science and Technology, Mbarara, Ouganda.

Acknowledgments

Cette étude a bénéficié d’une subvention de la Reproductive Health Supplies Coalition.

Disclaimer

The views expressed in this publication do not necessarily reflect those of the Guttmacher Institute.