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Aucun lien clair n’est observé entre la circoncision et l’âge des premiers rapports sexuels parmi les hommes d’Afrique subsaharienne

First published online:

| DOI: https://doi.org/10.1363/intsexrephea.42.3.158

Une analyse des données de six pays d’Afrique subsaharienne ne révèle aucun lien constant entre l’état de circoncision des jeunes hommes et leur âge au moment de leurs premiers rapports sexuels.1 L’étude constate l’association de la procédure avec une baisse de 3 à 4% de cet âge dans trois pays, appuyant l’inquiétude que les hommes circoncis sont peut-être plus susceptibles que les autres de s’engager dans une activité sexuelle à risque parce qu’ils s’estiment plus ou moins protégés par leur circoncision. Or la circoncision se révèle associée à une hausse de 4 à 6% de l’âge au premier rapport sexuel dans deux pays et sans association avec cet âge dans un autre.

Des inquiétudes de compensation du risque sont soulevées depuis l’avènement de la circoncision médicale. Bien que la procédure amoindrisse le risque de transmission du VIH, cet avantage pourrait être réduit ou perdu si les hommes circoncis estiment pouvoir se passer sans risques de l’usage du préservatif. De même, si les jeunes circoncis se soucient moins que leurs pairs du VIH et autres IST, peut-être entament-ils leur vie sexuelle à un plus jeune âge, accroissant ainsi la durée de leur exposition au risque de transmission avant le mariage.

Pour examiner la question, les chercheurs ont analysé les données d’enquêtes démographiques et de santé menées entre 2010 et 2013 dans six pays d’Afrique subsaharienne: l’Éthiopie, le Mali, la Namibie, le Rwanda, le Togo et l’Ouganda. Les analyses ont été limitées aux jeunes hommes célibataires (jamais mariés) de 12 à 24 ans sexuellement expérimentés qui avaient déclaré leur âge au moment de leur premier rapport sexuel et leur état de circoncision. L’enquête ne fait pas la distinction entre les circoncisions obtenues pour raisons de santé (prévention du VIH) et celles pratiquées pour raisons traditionnelles ou rituelles. Le rapport entre l’état de circoncision et l’âge à la première rencontre sexuelle est évalué dans le cadre de modèles logistiques estimant les rapports de temps, qui expriment la mesure dans laquelle les hommes circoncis ont eu leurs premiers rapports sexuels plus tôt ou plus tard que leurs homologues non circoncis. Les covariables des analyses sont le lieu de résidence (urbain ou rural), la religion, le sexe du chef de ménage, le niveau d’éducation, la richesse, la région et l’exposition à la télévision et à la radio, de même que deux échelles à trois points mesurant la connaissance du risque posé par le VIH (concernant par exemple la protection assurée par le préservatif) et la croyance aux mythes relatifs à la transmission (par le partage de nourriture, par exemple).

Les tailles d’échantillon varient entre 1 968 jeunes hommes en Ouganda et 8 313 en Éthiopie. La circoncision était pratiquement universelle parmi les répondants du Togo (98%), du Mali (97%) et d’Éthiopie (92%), mais beaucoup moins courante en Ouganda (29%), en Namibie (26%) et au Rwanda (15%). Même dans les pays à faible prévalence, toutefois, la majorité des jeunes de certains sous-groupes avaient subi la procédure. Par exemple, 87% des jeunes Namibiens éduqués au-delà du niveau secondaire et 56% de leurs homologues rwandais étaient circoncis.

Les fonctions de hasard et les analyses bivariées laissent entendre que la solidité et la direction du lien entre l’état de circoncision et l’âge au premier rapport sexuel varient d’un pays à l’autre. Les analyses multivariées confirment ces observations. Dans les modèles comprenant toutes les covariables, l’activité sexuelle est plus précoce parmi les jeunes circoncis du Rwanda (de 4% par rapport à leurs homologues non circoncis), d’Ouganda (3%) et de Namibie (3%), et plus tardive parmi ceux d’Éthiopie (4%) et du Mali (6%). Aucun rapport n’est observé au Togo.

Les liens entre les covariables et l’âge au premier rapport sexuel ne sont pas constants non plus. Par exemple, les jeunes dotés d’une éducation secondaire ou supérieure entament leur activité sexuelle plus tard que ceux moins instruits au Rwanda, en Ouganda et au Togo, mais plus tôt en Namibie et au Togo. Dans la moitié au moins des pays, de plus hauts niveaux de connaissance relative au VIH sont associés à un accès plus tardif à l’activité sexuelle et l’exposition à la télévision l’est à un accès plus précoce, mais les autres variables présentent des résultats mixtes (par exemple, l’affiliation religieuse) ou une absence d’association avec l’âge au début de l’activité sexuelle (richesse). Le lien entre la circoncision et l’accès à l’activité sexuelle varie au sein même des pays: en Ouganda, en Namibie et au Togo, la circoncision est associée à des premiers rapports plus précoces dans certaines régions du pays mais plus tardifs dans d’autres. 

Selon les auteurs, les limites de l’étude tiennent à son fondement sur l’autodéclaration de l’état de circoncision, son accent sur une seule manifestation potentielle de compensation du risque et son incapacité à différencier la circoncision médicale de celle traditionnelle. De plus, la nature transversale de l’étude exclut les hypothèses de causalité.

Cela dit, les chercheurs font remarquer que les observations donnent à penser que l’association entre la circoncision et l’âge au premier rapport sexuel « est historiquement spécifique et varie d’un pays à l’autre ». Ainsi, la compensation du risque peut être préoccupante dans certains contextes mais pas dans d’autres. Par exemple, la circoncision est associée à une activité sexuelle plus précoce dans les trois pays qui ont inauguré récemment leurs programmes de circoncision médicale de masse, reflet peut-être de perceptions que la circoncision met les hommes « à l’abri des maladies sexuellement transmissibles » ou qu’il s’agit d’un « rite de passage » qui « confère supériorité, virilité et permission d’activité sexuelle ». Les auteurs recommandent que les pays qui introduisent ou élargissent leur programme de circoncision tiennent compte des « facteurs contextuels » susceptibles d’influencer l’impact comportemental de la procédure, et que la politique relative à ces programmes « repose sur une bonne compréhension de l’historique social de la [circoncision] » dans les zones pertinentes.—P. Doskoch
 

Référence

1. Kangmennaang J et al., Circumcision status and time to sexual debut among youth in Sub-Saharan Africa: evidence from six Demographic and Health Surveys, AIDS & Behavior, 2016, 20(11):2514–2528.