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Réduire l’écart de la pratique contraceptive entre pauvres et riches au Rwanda: en comprendre les mécanismes sous-jacents

Dieudonne Ndaruhuye Muhoza, University of Rwanda, Huye Charles Mulindabigwi Ruhara, University of Rwanda, Kigali

First published online:

| DOI: https://doi.org/10.1363/45e7519
Abstract / Summary

Contexte: Les données laissent entendre, à mesure du renforcement du programme de planification familiale au Rwanda, un rétrécissement des écarts de la pratique contraceptive suivant la situation socioéconomique. L'évolution de ces disparités, et les mécanismes qui la sous-tendent, ne sont cependant pas bien compris.

Méthodes: Les données des Enquêtes démographiques et de santé 2005, 2010 et 2015 du Rwanda concernant 19.028 femmes en union âgées de 15 à 49 ans ont été analysées pour examiner les tendances des disparités socioéconomiques sur le plan de la pratique contraceptive. L'évolution de ces disparités, de même que les tendances concernant la fécondité désirée et les types et sources de contraceptifs utilisés, ont été identifiés et décrits par statistiques descriptives et régression multivariée avec termes d'interaction.

Résultats: Entre 2005 et 2015, la prévalence de la contraception moderne est passée de 11% à 48%. Dans les analyses de régression, les termes d'interaction indiquent une hausse moindre de cette prévalence parmi les femmes riches, instruites au niveau pour le moins secondaire ou vivant en milieu urbain, par rapport à leurs homologues pauvres, non instruites ou résidentes des milieux ruraux (RC, 0,5–0,7). Parallèlement, la baisse de la fécondité désirée s'est avérée plus importante parmi les femmes non instruites par rapport à celles dotées d'une éducation de niveau au moins secondaire (dans une mesure de 0,7 vs 0,5 enfant); parmi les femmes les plus pauvres par rapport aux plus riches (1,0 vs 0,5) et parmi les résidentes des milieux ruraux par rapport aux milieux urbains (0,9 vs 0,4).

Conclusions: L'amoindrissement des écarts de la pratique contraceptive en fonction de la situation socioéconomique coïncide avec celui des disparités du désir de fécondité et avec l'amélioration des services de planification familiale, laissant entendre que les populations défavorisées peuvent avoir particulièrement bénéficié des programmes publics d'élargissement de l'accès à la contraception.

Reconnue comme l’une des interventions les plus influentes dans les pays en développement, la planification familiale profite à la santé maternelle et infantile, au développement socioéconomique et à la viabilité environnementale1,2. Malgré les progrès indéniables réalisés ces dernières décennies, la pratique contraceptive reste pourtant faible en Afrique subsaharienne. Sur l’ensemble des pays, le taux de prévalence contraceptive (TPC) médian parmi les femmes en âge de procréer atteignait à peine 28% en 20153. La prévalence varie cependant largement d’une région et d’un pays à l’autre. Ainsi, en 2015, le TPC était de 64% en Afrique australe, mais de 17% seulement en Afrique de l’Ouest. Des disparités similaires apparaissent au sein même des pays, reflet, peut-être, d’un accès inéquitable à la planification familiale4 et d’un besoin d’intervention. Ces inégalités s’observent fréquemment entre les districts et les provinces, entre les milieux ruraux et urbains et entre les différents groupes socioéconomiques. Au Kenya, par exemple, les TPC régionaux vont de 44% dans la zone côtière à 73% dans le Centre5. En République démocratique du Congo, 45% des Kinoises en âge de procréer pratiquent la contraception, par rapport à 11% seulement dans la Province orientale6.

À l’image d’autres pays d’Afrique, le Rwanda a connu des inégalités contraceptives dans le passé. Grâce à l’intensification de son programme de planification familiale qui, ces 20 dernières années, a élargi et amélioré les services et prestations de santé reproductive à l’échelle du pays, le Rwanda a cependant réalisé d’immenses progrès sur ce plan. Ainsi, en 2005, le TPC moderne était de 23% dans la ville de Kigali alors qu’il n’atteignait pas la moitié de ce taux — 10% — dans la province du Nord7. En 2015, les proportions étaient en hausse considérable en ces deux endroits, avec une légère avance même dans le Nord par rapport à Kigali (55% contre 50%)8. Une réduction similaire des inégalités s’est produite entre d’autres sous-populations, entre les femmes des milieux urbains et ruraux, notamment9,10.

Ces améliorations sont observées dans l’un des pays les moins développés du monde. Le Rwanda est principalement rural — près de 80% de ses 12 millions d’habitants vivent à la campagne — et le produit intérieur brut du pays atteint à peine 707 dollars US par habitant; 40% de la population vivent sous le seuil de pauvreté11,12. De plus, le Rwanda se classe en 158e position, sur 189 pays, à l’indice de développement humain 201813. Cette image ne répond pas à la théorie de la transition démographique, selon laquelle le désir de familles moins nombreuses et l’adoption de la contraception apparaissent en premier dans les groupes privilégiés (chez les personnes instruites et plus riches, notamment), soulevant la question de savoir comment un pays à population principalement pauvre et rurale a pu enregistrer une telle hausse du TPC.

Les études réalisées dans le passé au sujet du Rwanda étaient généralement des analyses effectuées à l’échelle nationale9,10,14. Bien que révélant une hausse générale de la pratique contraceptive et une certaine convergence du TPC entre les milieux urbains et ruraux, ces études n’approfondissaient pas l’analyse des mécanismes à l’origine de ces tendances. La ventilation des données — en fonction de la condition socioéconomique des femmes ou de leur résidence en milieu urbain, par exemple — est importante si l’on veut comprendre la viabilité de l’avance contraceptive et du ralentissement de la croissance démographique, une préoccupation majeure de l’État.

La littérature identifie trois catégories de facteurs contribuant aux inégalités de la pratique contraceptive15. La première concerne les préférences de fécondité des femmes, leur connaissance et leurs comportements à cet égard, y compris leurs attitudes relatives à la contraception et la grossesse. La deuxième regroupe les facteurs liés au système de soins de santé, comme l’accès aux services de planification familiale, parfois entravé du fait de la pauvreté et de la distance géographique. La troisième catégorie se rapporte aux prestataires, dont le rôle peut se révéler dans le traitement inégal des femmes ou la pression qu’ils exercent sur elles d’utiliser certains types de contraceptifs. Ensemble, ces facteurs, qui peuvent être qualifiés de facteurs liés à la demande (ceux de la première catégorie) ou à l’offre (ceux des deuxième et troisième catégories)16–18, déterminent le niveau de la pratique contraceptive au sein de la population.

Le but de cet article est d’analyser jusqu’à quel point l’écart entre la pratique contraceptive des femmes pauvres et riches s’est rétréci au Rwanda, et par quels chemins. Plus précisément, notre analyse examine la mesure dans laquelle la convergence de la pratique contraceptive est associée au désir de fécondité et à la demande de services de planification familiale. La compréhension de ces mécanismes est essentielle, pour les décideurs politiques comme pour les prestataires de la planification familiale; elle peut aider le Rwanda à évaluer son programme de planification familiale et à adopter la meilleure approche possible en vue du contrôle durable de sa croissance démographique. D’autres pays soucieux d’améliorer leurs programmes de planification familiale pourront du reste y trouver une information intéressante, plus généralement utile aussi à la compréhension théorique des mécanismes par lesquels les populations pauvres s’engagent sur la voie de la planification familiale.

La planification familiale au Rwanda

En 2000, le gouvernement rwandais inaugurait son programme de développement Vision 2020, dans le but d’élever le Rwanda au rang de pays à revenu intermédiaire en faisant passer le revenu annuel moyen de 290 $ US à 900 $ US19. Reconnaissant l’obstacle majeur que posait la croissance démographique à la réalisation de cet objectif ambitieux, le gouvernement a décidé de soutenir fermement la planification familiale14. Pour concrétiser cet engagement, il a lancé une vaste campagne de renforcement de la demande, accroissant du reste l’accès aux contraceptifs par l’élargissement des services et l’amélioration de la qualité des prestations20.

Malgré cet effort, l’Enquête démographique et de santé (EDS) rwandaise de 2005 devait révéler un indice synthétique de fécondité de 6,1 naissances par femme7. En 2007, le ministère de la Santé déclarait la planification familiale « un outil de développement »14(p. 4), tandis que le gouvernement s’efforçait d’endiguer la croissance démographique galopante qui entravait les efforts de développement. Le Rwanda a ainsi lancé un programme intensif de sensibilisation à la planification familiale, cherchant à faire comprendre l’importance capitale de l’amoindrissement de la fécondité dans les efforts de réduction de la pauvreté. Tous les membres clés du personnel de santé et les administrateurs locaux ont été invités à participer à la campagne21, tandis que de nombreux ministères de l’État* inscrivaient la planification familiale au programme de leurs réunions ordinaires. Le Réseau parlementaire rwandais sur la population et le développement — une commission créée en 2003 — a également joué un rôle important, en ralliant à la cause les organismes politico-administratifs de niveau inférieur du pays. Plusieurs canaux de communication ont été mobilisés, comme la télévision, la radio et les rencontres avec les dirigeants religieux pour leur demander leur soutien.

Parmi les innovations particulièrement intéressantes, on notera l’introduction d’un programme d’agents de santé communautaire et l’organisation de rencontres mensuelles de service communautaire dites Umuganda (« travail communautaire » dans la langue du pays). Le programme d’agents de santé communautaire fait partie du système national de la santé. Il est conçu dans le but d’atteindre de nombreux individus20, en particulier les résidents des milieux ruraux en proie à la pénurie de prestataires de soins3. Chacun des 14 837 villages rwandais élit trois membres de la communauté (deux femmes et un homme) appelés à assumer le rôle d’agents de santé communautaire, ayant pour mission de surveiller et de promouvoir la santé maternelle et infantile. Ces agents sont formés à l’offre d’information sur toutes les méthodes contraceptives et à l’encouragement de la demande, bien qu’ils ne délivrent eux-mêmes que les méthodes de courte durée (comme l’injectable, la pilule, le préservatif et la méthode « Standard Days »), qui ne nécessitent pas d’intervention médicale9,22. Ils ne sont pas rémunérés pour leurs services, mais ils doivent être honnêtes, fiables et dignes de confiance, et ils jouissent d’un immense respect au sein de leur communauté23. L’Umuganda appuie leurs efforts. Il s’agit d’un programme non pas de santé communautaire, mais plutôt de travail communautaire axé sur le développement d’infrastructures et leur entretien. Comme la plupart des résidents du village y participent, l’approche facilite la diffusion de l’information, y compris au sujet de la planification familiale.

Le gouvernement n’a par ailleurs eu de cesse d’accroître la disponibilité d’une gamme complète de méthodes contraceptives modernes et de promouvoir les méthodes de longue durée7,14–24. La diversification des méthodes contraceptives disponibles aux centres de santé s’est accompagnée d’une formation systématique des prestataires de la planification familiale dans le but d’améliorer la prestation des services24. Au Rwanda, la méthode moderne la plus courante est l’injectable (qui représentait 50% de la pratique contraceptive moderne en 2015)8, suivi de la pilule et de l’implant; 5% seulement des femmes ont recours aux méthodes traditionnelles. Outre l’implant, les méthodes longue durée ou permanentes sont le stérilet (DIU) et la stérilisation féminine et masculine, dont le ministère de la Santé assure la promotion auprès des hommes et dont la demande est en hausse8.

Une difficulté pour le système rwandais de la santé est qu’environ un tiers des structures de santé sont de nature « confessionnelle » et qu’elles ne proposent pas la contraception moderne14,25. Pour y remédier, le gouvernement a construit des postes de santé secondaires non loin des structures d’affiliation religieuse, afin de répondre aux besoins des résidentes et résidents locaux25. Cette approche a élargi l’accès à la planification familiale au profit de nombreuses populations18.

Enfin, outre ces interventions directes, le programme de planification familiale a peut-être bénéficié des réformes du système de la santé, comme l’adoption du financement basé sur les résultats des structures sanitaires et le système des contrats de performance du personnel, ainsi que du régime d’assurance santé universelle qui a accru la fréquentation des structures21,26.

L’analyse qui suit ne représente pas une évaluation formelle des efforts décrits ci-dessus, mais les tendances des résultats que nous décrivons coïncident largement avec le repositionnement étatique de la planification familiale.

MÉTHODES

Données et variables

Cette étude repose sur des données extraites des séries 2005, 2010 et 2015 de l’EDS du Rwanda, dont la conception visait la représentation au niveau national et la couverture des milieux urbains et ruraux. L’échantillonnage s’est effectué en deux étapes: par échantillonnage aléatoire de grappes sur l’ensemble du pays et sélection de ménages au sein des grappes. Dans les ménages sélectionnés, toutes les femmes âgées de 15 à 49 ans, résidentes ou en visite, étaient admises à participer. L’analyse qui nous occupe est limitée aux femmes en union, car elles représentent l’échantillon généralement utilisé pour mesurer la prévalence contraceptive. Nous avons exclu 154 femmes qui n’avaient pas donné de réponse valable concernant leur nombre d’enfants idéal et avons ainsi obtenu un échantillon d’analyse final composé de 19 028 femmes — dont 5 321 ayant participé à l’enquête de 2005, 6 817 à celle de 2010 et 6 890 à celle de 2015.

La variable dépendante clé était l’utilisation d’une méthode contraceptive moderne, quelle qu’elle soit, au moment de l’entretien. Plus précisément, les femmes ont été invitées à répondre à la question: « Faites-vous actuellement quelque chose ou utilisez-vous une méthode pour retarder ou éviter une grossesse ? » Les femmes ont été classées comme pratiquant une méthode contraceptive moderne si elles avaient déclaré utiliser une méthode de courte durée (pilule, injectable, spermicide, préservatif féminin ou masculin, méthode Standard Days ou méthode de l’aménorrhée lactationnelle) ou une méthode de longue durée ou permanente (stérilet/DIU, implant ou stérilisation masculine ou féminine). Celles qui pratiquaient l’abstinence périodique, le retrait ou d’autres méthodes de souche populaire pour éviter de concevoir ont été considérées utiliser une méthode traditionnelle. Nous avons choisi la pratique d’une méthode moderne comme variable de résultat, par alignement sur les objectifs de la politique de planification familiale rwandaise en 2012, qui cherchait à porter la prévalence de la pratique contraceptive moderne à 70% à l’horizon 201622.

La principale variable indépendante était la condition socioéconomique des femmes. Étant donné le caractère complexe et multidimensionnel de cette dernière, nous l’avons concrétisée sur la base de deux variables: le niveau d’instruction et la richesse du ménage. La variable d’éducation mesure le niveau de scolarisation autodéclaré, selon trois catégories: nulle, primaire et secondaire ou supérieure. La variable de richesse est un indicateur de la situation économique du ménage. Les scores de l’indice sont calculés sur la base de 12 variables utilisées dans l’EDS 201527, y compris la source d’eau potable, le type de toilettes, le type de matériaux de construction du logement, la propriété foncière, le nombre de résidents par chambre à coucher et la possession de véhicules. Les scores ont ensuite servi à classer les ménages en quintiles: le plus pauvre, pauvre, moyen, riche et le plus riche. L’analyse a aussi examiné le lieu de résidence, rural ou urbain, qui représente une autre caractéristique associée aux disparités28,29. La variable de résidence distingue les résidentes des milieux ruraux de celles des milieux urbains conformément aux définitions administratives officielles8.

Pour comprendre les mécanismes qui expliquent peut-être les différences des tendances de la pratique contraceptive d’un sous-groupe socioéconomique à l’autre, nous avons lié ces tendances à l’évolution de la préférence de fécondité (du côté de la demande) et des services de planification familiale (du côté de l’offre). La préférence de fécondité est mesurée selon le nombre idéal moyen d’enfants exprimé par les répondantes. La plupart des femmes ont donné une réponde numérique à la question de leur nombre idéal d’enfants, sauf 2%, dont les réponses n’étaient pas exprimées en chiffres (par exemple: « C’est Dieu qui décide », « Je ne sais pas » ou « Peu importe »). Nous avons exclu des analyses les femmes qui avaient donné ces réponses, en partant du principe que cette exclusion ne changeait en rien la composition de l’échantillon restant. Les réponses restantes ont été réparties en quatre catégories (trois enfants ou moins, quatre, cinq ou six, ou au moins sept) alignées sur la classification Bongaarts des niveaux relevés au fil de la transition de la fécondité30 (le passage d’une fécondité élevée à faible) et sur la campagne de planification familiale du pays, qui préconise trois enfants ou moins comme nombre idéal par famille31. La demande de limitation des naissances est mesurée comme la proportion des répondantes qui désiraient limiter leur nombre d’enfants — soit celles qui avaient indiqué s’être fait stériliser ou qui avaient répondu « non » à la question: « Désirez-vous avoir (encore) un enfant ou préféreriez-vous ne pas (plus) en avoir ? »

Nos indicateurs de services de planification familiale ont capturé les types et les sources des contraceptifs utilisés. La source de la méthode a été déterminée d’après la réponse donnée à la question de savoir où la femme avait obtenu le plus récemment la méthode contraceptive qu’elle pratiquait au moment de l’enquête. Les réponses obtenues ont été classées dans les catégories de secteur médical public, agent de santé communautaire ou secteur privé. Le secteur médical public se compose de toutes les structures de santé de l’État, des postes de santé aux hôpitaux de référence; les agents de santé communautaire regroupent, comme décrit plus haut, le personnel non médical chargé des services de proximité et de la distribution de certains types de contraceptifs; et le secteur privé comprend les services médicaux privés et tous les autres distributeurs et sources indépendants (par exemple, les cliniques privées, les pharmacies privées, les magasins, les églises et les amies).

Enfin, nos analyses incluent trois variables de contrôle: l’âge des femmes (15 à 24 ans, 25 à 34 ans et 35 à 49 ans), le nombre d’enfants en vie (zéro, un à trois, quatre ou cinq, ou au moins six) et la religion (catholique, protestante, adventiste, musulmane ou autre/nulle).

Analyses

Nous avons commencé par calculer les statistiques descriptives relatives aux écarts socioéconomiques observés dans la pratique contraceptive pendant la période de l’étude, afin de révéler la mesure dans laquelle les tendances pauvres/riches de la pratique contraceptive ont convergé. Nous avons ensuite effectué une analyse de régression logistique multivariée pour identifier les associations entre les variables indépendantes sélectionnées et la pratique contraceptive, ainsi que pour évaluer la variation de l’écart pauvres/riches au fil du temps. Pour évaluer ces changements, nous avons inclus dans l’analyse de régression les termes d’interaction entre les variables principales (éducation, richesse du ménage et lieu de résidence) et l’année de l’enquête. L’analyse, exécutée sous Stata version 13, tient compte du plan d’échantillonnage complexe par application de la commande svy. Enfin, par statistiques descriptives, l’analyse a lié le rétrécissement de l’écart de la pratique contraceptive entre pauvres et riches aux tendances de préférence de fécondité, ainsi qu’à celles des types et sources de méthodes modernes utilisées.

RÉSULTATS

Caractéristiques de l’échantillon

Pendant les 10 années couvertes par la période de l’étude, les niveaux d’instruction des femmes ont enregistré une hausse considérable (Tableau 1). La proportion de celles sans instruction est passée de 29% en 2005 à 16% en 2015, tandis que progressait clairement la proportion de celles ayant atteint un certain niveau d’éducation primaire (de 62% à 71%) et au moins un certain niveau d’éducation secondaire (de 9% à 13%). Sur l’ensemble de l’échantillon, la grande majorité des femmes vivaient en milieu rural (85%) et étaient de religion chrétienne (83%), à parts plus ou moins égales entre catholiques (42%) et protestantes (41%) — bien que, au fil du temps, la proportion des premières se soit réduite tandis qu’augmentait celle des secondes. Près de la moitié des femmes (46%) étaient âgées de 25 à 34 ans.

Un peu plus de la moitié (54%) avaient un à trois enfants, tandis que 6% n’en avaient aucun en vie. Les femmes mères d’au moins six enfants représentaient 15% de l’échantillon groupé, bien que cette proportion diminue au fil des enquêtes, de 18% en 2005 à 12% en 2015. Environ deux cinquièmes des répondantes désiraient une famille limitée à un maximum de trois enfants, un tiers en désiraient exactement quatre et 5% seulement en désiraient au moins sept. La proportion des femmes qui désiraient un maximum de trois enfants grimpe considérablement au fil des enquêtes, passant de 20% en 2005 à 53% en 2010 puis à 52% en 2015. Si 43% seulement des répondantes considérées dans l’échantillon groupé pratiquaient la contraception, ce pourcentage augmente nettement entre 2005 et 2015, passant de 18% à 53%. Les méthodes de courte durée représentaient la plupart de la pratique contraceptive, dans une proportion en hausse, de 10% à 38% des femmes, tandis que les méthodes de longue durée et permanentes passaient de 1% à 10% et que les méthodes traditionnelles enregistraient une légère baisse, de 7% à 6%. Le secteur médical public était, lors des trois enquêtes, le plus grand fournisseur de méthodes contraceptives, bien que sa part soit en déclin. Les agents de santé communautaire émergent comme source importante de contraceptifs — servant 10% des utilisatrices en 2010 et 34% en 2015 —, mais la part du secteur privé est en baisse très marquée, de 26% en 2005 à 7% en 2015.

Tendances des disparités socioéconomiques

La proportion des femmes en union qui pratiquent une méthode de contraception moderne est en hausse, de 11% à 48% entre 2005 et 2015, de manière variable suivant le niveau d’éducation des femmes, la richesse du ménage et le lieu de résidence (Tableau 2). Pour tous ces indicateurs, les inégalités de la pratique se sont amoindries au fil du temps. Par exemple, entre 2005 et 2010, la prévalence de la pratique contraceptive est en hausse nette chez les femmes non instruites (où elle passe de 6% à 38%), mais plus modeste chez celles dotées pour le moins d’une certaine éducation de niveau secondaire (de 29% à 52%). Dans l’intervalle suivant (2010–2015), une nouvelle hausse (bien que modérée) intervient chez les femmes non instruites (de 38% à 41%), tandis que la prévalence apparaît en légère baisse parmi celles les plus instruites (de 52% à 49%). Ainsi, le rapport entre la prévalence chez les femmes dotées d’au moins une certaine éducation secondaire et celles sans instruction est en baisse, passant de 4,8 en 2005 à 1,2 en 2015.

L’écart de la pratique contraceptive associé à la richesse du ménage s’est également rétréci. En 2005, le rapport entre la prévalence contraceptive chez les femmes du quintile de ménages le plus riche et celles du quintile le plus pauvre était de 3,8 (23% contre 6%); il s’est réduit à 1,3 (50% contre 39%) en 2010 et à 1,1 seulement (50% contre 45%) en 2015. Cette tendance est le résultat de plus fortes hausses de l’adoption de la contraception parmi les femmes les plus pauvres (de 6% en 2005 à 39% en 2010 et à 45% en 2015) que parmi celles des ménages les plus riches (de 23% en 2005 à 50% en 2010 comme en 2015). Enfin, le rapport entre les femmes des milieux urbains et ruraux, calculé à 2,5 en 2005, s’est réduit à 1,0 en 2010 pour repasser à 1,1 en 2015.

L’analyse multivariée basée sur les données groupées des trois enquêtes explore plus profondément ces tendances (Tableau 3). Dans l’ensemble, les chances qu’une femme pratique une méthode de contraception moderne étaient beaucoup plus grandes en 2010 et en 2015 qu’en 2005 (RC, 9,2 et 12,1, respectivement). Quelques différences suivant la condition socioéconomique paraissent en outre évidentes. Les chances de pratique de la contraception moderne augmentent progressivement avec l’éducation, de sorte qu’elles sont supérieures parmi les femmes instruites au niveau primaire ou dotées d’au moins une certaine éducation secondaire, par rapport à celles non instruites (1,4 et 3,1, respectivement). Aucune différence n’est observée entre les femmes du quintile de richesse inférieur et celles des trois quintiles intermédiaires, mais celles du quintile le plus riche étaient plus susceptibles que celles des ménages les plus pauvres de pratiquer une méthode moderne (2,6). Étonnamment, les femmes vivant en milieu urbain n’étaient pas plus susceptibles d’utiliser la contraception moderne que celles des milieux ruraux, après correction d’autres variables. Les résultats relatifs aux autres variables sont généralement conformes aux attentes: les femmes étaient moins susceptibles de pratiquer la contraception moderne si elles étaient âgées de plus de 35 ans, plutôt que de 15 à 24 ans; si elles étaient de religion protestante plutôt que catholique; ou si elles désiraient au moins quatre enfants plutôt qu’une famille moins nombreuse (0,6–0,7). Elles étaient en revanche plus susceptibles de la pratiquer si elles avaient au moins quatre enfants plutôt qu’un à trois (1,2–1,4). La probabilité de la pratique contraceptive était négligeable parmi les femmes sans enfants (0,02).

Les termes d’interaction concernant l’éducation et l’année de l’enquête indiquent une probabilité de pratique contraceptive en 2010 et 2015 moindre parmi les femmes dotées d’une certaine éducation secondaire au moins (RC, 0,5 et 0,4, respectivement) par rapport à celles non instruites. Entre la richesse du ménage et l’année d’enquête, ces termes indiquent, en 2010 comme en 2015, une progression moins rapide des méthodes modernes parmi les femmes du quintile le plus riche par rapport à celle du quintile le plus pauvre (0,6 et 0,5, respectivement). Enfin, en 2010, les résidentes des milieux urbains étaient moins susceptibles de pratiquer la contraception que celles des milieux ruraux (0,7). Ces résultats donnent à penser que, au fil du temps, les écarts de la pratique contraceptive moderne suivant le niveau d’éducation des femmes, leur richesse et leur lieu de résidence, se sont réduits du fait que les femmes mieux instruites, plus riches ou résidentes des milieux urbains ont accru leur pratique des méthodes modernes dans une mesure inférieure à celle des femmes moins instruites, plus pauvres ou résidentes des milieux ruraux. Autrement dit, les strates socioéconomiques inférieures de la population ont fait plus de progrès que celles supérieures.

Tendances du nombre d’enfants

Durant la période de l’étude, le nombre d’enfants idéal déclaré par les femmes a diminué dans tous les groupes socioéconomiques, bien qu’à un rythme distinct (Tableau 4). Les analyses en fonction du niveau d’éducation des femmes révèlent une baisse légèrement supérieure parmi les femmes non instruites ou instruites au niveau primaire (0,7 et 0,8 enfant, respectivement), par rapport à celles ayant atteint au moins un certain niveau d’éducation secondaire (0,5 enfant). Par conséquent, la différence du nombre d’enfants idéal entre les femmes non instruites et celles dotées pour le moins d’une certaine éducation secondaire apparaît en baisse, de 0,9 en 2005 à 0,7 en 2015. En ce qui concerne la richesse du ménage, on observe que, si les femmes les plus pauvres désiraient 0,4 enfant de plus en 2005 que celles les plus riches, la différence entre les deux groupes était devenue négligeable en 2010 et 2015 car les préférences de fécondité avaient baissé dans une plus grande mesure chez les femmes les plus pauvres (de 1,0 enfant) que chez celles les plus riches (de 0,5 enfant). De même, le nombre d’enfants idéal a diminué davantage dans les milieux ruraux (de 0,9) par rapport à ceux urbains (de 0,4), de sorte que les préférences ne différaient plus suivant le lieu de résidence en 2015.

De plus, la proportion des femmes désireuses de limiter leur fécondité s’est considérablement accrue entre 2005 et 2010, de 24% à 39%, pour diminuer ensuite légèrement et revenir à 36% en 2015. Pendant la période à l’étude, la proportion des femmes désireuses de limiter leur nombre d’enfants a augmenté de 20 points de pourcentage parmi celles non instruites, alors qu’elle diminuait en fait de sept points de pourcentage parmi celles dotées d’au moins une certaine éducation secondaire. La hausse s’est du reste révélée plus importante parmi les femmes des milieux ruraux (14 points de pourcentage) que dans les milieux urbains (un point de pourcentage). La différence entre les sous-groupes paraît moins claire sur le plan de la richesse du ménage, les deux groupes les plus riches présentant la plus grande et la plus faible baisse.

Types et sources de méthodes

Les répartitions, suivant le type de méthode, des femmes en union qui pratiquaient une contraception quelconque révèlent une baisse considérable des méthodes traditionnelles, de 41% en 2005 à 12% en 2010 et à 11% en 2015 (Tableau 5). On observe dans le même temps une hausse importante de la pratique des méthodes modernes. La proportion des utilisatrices des méthodes de courte durée est passée, entre 2005 et 2010, de 54% à 73%, pour diminuer ensuite légèrement et revenir à 70% en 2015. Celle des méthodes longue durée ou permanentes présente une hausse régulière, de 6% à 15% puis à 19%. Ces changements révèlent une évolution vers les méthodes plus efficaces.

La mesure du changement varie suivant le sous-groupe socioéconomique. La baisse proportionnelle du recours aux méthodes traditionnelles entre 2005 et 2015 est à peu près égale parmi les femmes non instruites (moins 67%, de 46% à 15%) et parmi celles dotées d’au moins un certain niveau d’éducation secondaire (moins 64%, de 28% à 10%). En revanche, le choix des méthodes longue durée et permanentes a plus que triplé chez les femmes non instruites (où il passe de 5% à 17%), alors qu’il ne faisait que doubler chez celles dotées pour le moins d’une certaine éducation de niveau secondaire (de 13% à 27%). Par conséquent, le rapport entre ces deux groupes concernant la pratique des méthodes longue durée et permanentes est en baisse, de 2,8 à 1,7 (non indiqué). Des tendances similaires sont observées suivant la richesse du ménage et le milieu de résidence des femmes.

Enfin, le secteur médical public demeure le principal fournisseur de contraceptifs au Rwanda, malgré une baisse de 28% entre 2010 et 2015 dans la proportion des utilisatrices qui y ont obtenu leur méthode (de 82% à 59%; Tableau 6). De même, le recours au secteur privé est en baisse nette; ce secteur, où s’approvisionnaient 26% des utilisatrices de la contraception en 2005, n’en servait plus que 7% en 2015. La baisse du recours des femmes aux secteurs médical public et privé tient à l’introduction du programme de santé communautaire, essentiellement inexistant en 2005 mais devenu la source de méthode de 10% des utilisatrices en 2010 et de 34% en 2015. Malgré la baisse considérable de la fourniture de la contraception par le secteur médical public aux femmes non instruites (de 87% à 55%), aucun changement n’est observé parmi celles les plus instruites. En revanche, la contribution du programme de santé communautaire à la prestation de la contraception s’est accrue dans une mesure beaucoup plus grande parmi les femmes non instruites (passant à 12% en 2010 et à 42% en 2015) que chez celles ayant atteint au moins un certain niveau d’éducation secondaire (passage à 6% et 16%, respectivement) et, en 2015, elle était nettement plus grande parmi les femmes les plus pauvres que parmi celles du quintile le plus riche (40% contre 18%). Le secteur privé n’a conservé son rang de prestataire important que dans le sous-groupe le plus instruit; en 2015, il servait de source de contraception à 21% de ces femmes, par rapport à 3% seulement des femmes les moins instruites. Des tendances comparables ont été constatées suivant la richesse du ménage et le milieu de résidence des femmes. Les rapports sont en baisse entre le quintile le plus pauvre et celui le plus riche, et entre les résidentes des milieux ruraux et urbains, concernant le recours aux secteurs médical public et privé comme sources de contraceptifs, alors qu’ils sont en hausse pour les services des agents de santé communautaire. Ces tendances indiquent que les femmes pauvres et résidentes des milieux ruraux passent du secteur médical public au secteur communautaire public dans une plus grande mesure que celles les plus riches et résidentes des milieux urbains.

DISCUSSION

En analysant les différences des tendances de la demande d’enfants et de services de planification familiale sur une période de 10 ans, cet article étudie les mécanismes potentiels par lesquels l’écart de la pratique contraceptive entre pauvres et riches se rétrécit au Rwanda. Nous avons constaté une hausse de la pratique contraceptive certes considérable dans tous les groupes socioéconomiques entre 2005 et 2015, mais notablement supérieure parmi les femmes des groupes plus démunis et des milieux ruraux, par rapport à celles des groupes mieux lotis et des milieux urbains. Cette différence a donné lieu au rétrécissement de l’écart de la pratique contraceptive.

De nombreux facteurs ont contribué à l’augmentation de la pratique et de l’adoption de la contraception dans les groupes socioéconomiques inférieurs. Le premier tient au changement des préférences de fécondité. Le nombre d’enfants idéal par famille est en baisse considérable au Rwanda, réduit à une moyenne de 3,3 enfants en 20158, soit le niveau le plus faible enregistré en Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud, Lesotho et Eswatini32. Nous avons observé une baisse plus importante parmi les femmes pauvres et rurales que parmi celles plus riches et urbaines. Certains indices donnent à penser que la faiblesse de l’emploi en dehors du secteur agricole et l’amoindrissement des parcelles des ménages dans les milieux ruraux ont miné les avantages de la famille nombreuse31. La forte densité de population au Rwanda (environ 500 habitants par kilomètre carré) fait que la quantité de terre détenue par le ménage type ne suffit pas à nourrir une famille nombreuse et réduit le besoin de main-d’œuvre33. Dans ce contexte, les familles nombreuses ne présentent guère ou pas d’avantage, car les enfants ne peuvent pas contribuer à la production du ménage — ce qui, dans les sociétés agraires, représente souvent la principale motivation des familles nombreuses. Les enfants peuvent en l’occurrence être considérés plutôt comme un fardeau pour les parents qui doivent subvenir à leurs besoins fondamentaux. L’absence d’avantages à avoir de nombreux enfants pousse par conséquent beaucoup de personnes — en particulier dans les milieux ruraux dénués de ressources — à préférer les familles moins nombreuses, à l’instar de leurs homologues plus riches.

Cette observation, contraire à la perception généralement répandue que les personnes plus pauvres désirent un plus grand nombre d’enfants, est conforme à celles d’autres études. Ainsi, un examen des tendances concernant le nombre d’enfants idéal dans différents pays d’Afrique a révélé une plus forte baisse chez les femmes pauvres que parmi celles non pauvres34. Au Nigeria, pendant une période de crise, les préférences de fécondité des femmes qui avaient souffert de difficultés économiques se sont avérées inférieures à celles de leurs homologues non affectées35. Aux Philippines, les femmes des ménages plus pauvres désiraient moins d’enfants que leurs homologues plus riches36. Ces exemples laissent entendre que dans les situations de pauvreté ou de crise, le rapport entre les préférences de fécondité et la condition socioéconomique peut s’inverser. La baisse du nombre d’enfants désiré peut entraîner une hausse de la demande de limitation des naissances et de familles moins nombreuses, en particulier dans les populations plus pauvres et rurales jusque-là responsables de la fécondité élevée en Afrique subsaharienne. Tel semble avoir été le cas au Rwanda.

Un autre facteur important tient au changement des types et sources de méthodes contraceptives pratiquées. L’accroissement disproportionné du recours aux méthodes modernes parmi les femmes plus pauvres, uni à la baisse correspondante de l’utilisation des méthodes traditionnelles, a coïncidé avec les efforts d’élargissement de l’accès à la contraception au profit des populations rurales et des couches socioéconomiques inférieures moyennant la construction de postes de santé secondaires, la formation d’agents de santé communautaire et autres prestataires de santé et la diversification et disponibilité accrue de produits contraceptifs sur l’ensemble du pays. Toutes ces activités ont profité davantage aux femmes plus pauvres et résidentes des milieux ruraux qu’à celles mieux loties et résidentes des milieux urbains, qui avaient déjà accès aux contraceptifs.

En particulier, la solution innovante de la construction de postes de santé secondaires a réduit la distance à parcourir pour répondre aux besoins de planification familiale des femmes24. L’introduction du programme des agents de santé communautaire a par ailleurs amélioré l’accès des femmes aux contraceptifs et a été particulièrement bien accueillie par les pauvres. Nous avons constaté que la proportion des femmes qui avaient obtenu leur contraception auprès de ces agents était nettement supérieure dans le quintile le plus pauvre, par rapport au plus riche. La recherche antérieure a aussi observé que les programmes faisant appel aux agents de santé communautaire peuvent favoriser l’amélioration de la prévalence contraceptive dans les groupes défavorisés37–39. Cela dit, l’efficacité de ces programmes est tributaire de leur qualité et de leur contexte et, dans de nombreux pays d’Afrique, ils ne bénéficient pas encore de l’appui qu’ils méritent de la part des dirigeants nationaux.

L’amoindrissement de l’écart de la pratique contraceptive entre les Rwandaises pauvres et riches n’est pas surprenant quand on sait le ferme engagement pris à la tête du pays et la campagne de sensibilisation menée ces 10 dernières années. Des tendances similaires sont d’ailleurs observées dans d’autres régions. Ainsi, une analyse des tendances de la pratique contraceptive entre 1990 et 2013 dans 46 pays en développement a révélé un rétrécissement considérable des écarts basés sur la richesse dans les pays d’Asie et d’Amérique latine, contrairement à beaucoup des pays d’Afrique subsaharienne40. Les plus fortes atténuations des disparités sont apparues dans les régions où les programmes de planification familiale étaient les plus robustes, sous l’effet, principalement, d’une plus grande augmentation de la pratique contraceptive des pauvres. Les observations sont hétérogènes dans les études axées sur l’Afrique subsaharienne34,41. Dans l’ensemble, l’information donne à penser que les disparités suivant la condition socioéconomique et le milieu de résidence sont en baisse en Afrique de l’Est et australe, alors qu’elles s’intensifient en Afrique de l’Ouest et centrale, où la montée de la pratique contraceptive des pauvres est à l’arrêt, voire en retrait42. Les constats sont mixtes aussi en ce qui concerne les disparités entre les milieux ruraux et urbains. Les écarts sont en baisse nette dans les pays tels que le Maroc, le Sénégal et le Ghana, mais aucun changement n’est visible au Malawi et l’écart paraît plus large au Tchad, au Kenya et en Zambie4. De manière générale, les écarts entre les sous-groupes socioéconomiques se sont amoindris dans les pays où la pratique contraceptive était élevée ou en hausse, souvent sous l’effet de progrès réalisés dans les populations pauvres et rurales. Cette observation donne à penser que le TPC d’un pays dépend largement de ce progrès au niveau des pauvres et dans les milieux ruraux.

Ce scénario est conforme à la théorie de la transition de la fécondité, selon laquelle le contrôle de la fécondité commence dans les groupes privilégiés (comme ceux instruits, riches et urbains), qui sont les premiers à désirer des familles moins nombreuses et à recourir à la contraception. Ces tendances s’étendent ensuite aux autres groupes socioéconomiques, y compris les pauvres, souvent retenus par leurs convictions socioculturelles — comme leurs croyances religieuses au sujet de la procréation et la croyance que la valeur d’une femme dépend du nombre d’enfants qu’elle met au monde — et par de solides liens de famille, où la charge des enfants est partagée entre les membres d’une famille nombreuse43,44. La diffusion auprès des pauvres d’attitudes positives sur les familles moins nombreuses et sur la pratique de la contraception peut être considérée comme un indicateur de progrès dans la transition de la fécondité. La diversité, parmi les pays d’Afrique subsaharienne, des disparités contraceptives en fonction de l’éducation, de la richesse et du lieu de résidence reflète l’hétérogénéité de la progression de cette transition: certains pays ont enregistré une baisse notable de leur fécondité, alors qu’elle demeure élevée dans d’autres.

Le succès de la contraception dans les populations pauvres et rurales du Rwanda démontre combien la volonté politique et les efforts gouvernementaux peuvent mobiliser les populations défavorisées et les engager sur la voie de la planification familiale. Les activités ayant contribué à la hausse impressionnante de la pratique contraceptive sont le produit d’un solide engagement politique de la part des dirigeants du pays1. À cet égard, l’étude appuie les recommandations de la recherche et des conférences internationales qui en appellent à la volonté politique, à l’engagement communautaire et à l’élargissement de l’accès à la contraception pour en accroître la pratique1,34,45,46.

Limites

L’interprétation de ces constats doit tenir compte de certaines limites. D’abord, le concept de la pauvreté est multidimensionnel et un ou deux indicateurs ne suffisent pas à le mesurer pleinement. Nos variables concernent le niveau d’éducation, la richesse du ménage et le lieu de résidence urbain ou rural; d’autres indicateurs ou une combinaison d’autres variables auraient pu conduire à d’autres résultats et conclusions. Cela dit, le message essentiel est que la pratique contraceptive a augmenté plus rapidement dans le segment le plus pauvre de la population, par rapport au plus riche, de sorte que l’écart entre les deux se rétrécit. Une deuxième limite apparaît dans la difficulté de capturer les multiples facteurs de causalité qui ont contribué au changement des comportements durant la période de l’étude. Dans une analyse réalisée en 2008, Solo faisait état de six facteurs entrant en jeu dans la hausse de la pratique contraceptive au Rwanda14. Dans notre article, le cadre était limité aux facteurs immédiats disponibles et mesurables relatifs à la demande, à l’accessibilité et à la qualité des services. En troisième lieu, comme l’étude repose sur des données transversales, il n’a pas été possible de démontrer les rapports de causalité entre les variables, ou entre les activités programmatiques et la pratique contraceptive accrue. Notre analyse n’identifie par conséquent que les associations et les corrélations entre les mesures. Une quatrième limite concerne la comparabilité des enquêtes menées sur une période de 10 ans, car les définitions et les effets de l’éducation, de la richesse et de l’urbanité peuvent changer au fil du temps. Enfin, notre variable de résultat était la prévalence contraceptive, du fait de la politique de planification familiale rwandaise axée sur l’augmentation de la pratique contraceptive dans le but de réduire la croissance démographique. Aussi la recherche ne capture-t-elle que partiellement l’impact du programme de planification familiale. Une variable de résultat supplémentaire aurait pu être le besoin non satisfait, qui considère les femmes présentant un besoin de planification familiale plutôt que la population totale. Les résultats de l’étude n’en sont pas moins conformes à la conclusion que le programme de planification familiale rwandais a réussi à réduire l’écart de la pratique contraceptive au sein de la population.

Implications politiques

Cette étude a révélé que le plus haut niveau d’adoption de la contraception chez les pauvres a coïncidé avec plusieurs stratégies innovantes qui, en supprimant les obstacles, ont répondu aux besoins de la population. L’efficacité de ces stratégies doit cependant être interprétée dans le contexte rwandais. Leur exportation ne conduirait pas nécessairement aux mêmes résultats et il convient pour les gouvernements désireux de voir leurs populations pauvres s’engager sur la voie de la planification familiale de concevoir des stratégies ancrées dans leur propre contexte national. Un autre enseignement de cette étude est que le programme de santé communautaire semble avoir prospéré dans les populations pauvres et rurales, éliminant les obstacles là où d’autres approches avaient échoué. À cet égard, notre étude appuie l’approche du programme de santé communautaire pour l’élargissement de l’accès aux services de planification familiale, en particulier dans les régions pauvres et principalement rurales où les prestataires de santé font défaut47. De plus, s’agissant d’un programme du secteur public, ces conclusions en encouragent le financement public, même dans les pays dotés de programmes de planification familiale performants, l’expérience ayant démontré qu’un affaiblissement des ressources financières peut entraîner un revirement des progrès réalisés48.

Enfin, l’étude souligne combien l’accroissement de la pratique contraceptive dans les populations pauvres et rurales d’Afrique subsaharienne peut améliorer les résultats pour l’ensemble du pays, étant donné que ces sous-groupes représentent une large part de la population totale et de la fécondité à l’échelle nationale. Le Rwanda a enregistré une hausse de sa pratique contraceptive globale parce que ses populations pauvres et rurales ont réalisé d’importants progrès dans cette direction. Les autres gouvernements d’Afrique désireux de freiner la croissance démographique galopante qui entrave le développement socioéconomique et la réalisation des Objectifs de développement durable pourraient bénéficier de même d’un investissement accru ciblé sur les zones rurales et les strates pauvres de leur population.

Footnotes

*Entre autres, les ministères de l’Éducation, du Gouvernement local, des Finances et de la Planification économique, de la Jeunesse, de la Santé, de la Défense, du Commerce et de l’Industrie.

Au Rwanda, le village est la plus petite unité administrative du gouvernement, en milieu rural aussi bien qu’urbain; il comprend généralement entre 100 et 150 ménages.

Un contrat de performance du personnel est un contrat annuel entre un employeur et un membre du personnel qui détaille les objectifs professionnels que ce membre s’engage à atteindre pendant l’année. En fin d’année, le membre du personnel est évalué par rapport à ces objectifs. Le système est répandu dans le secteur public.

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Author's Affiliations

Dieudonne Ndaruhuye Muhoza est maître de conférences au Département de Statistique appliquée du College of Business and Economics, Uni­versité du Rwanda, à Huye. Charles Mulindabigwi Ruhara est chargé de cours au Département d’Économie du College of Business and Economics, Université du Rwanda, à Kigali.

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